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12 mai 2017

Les récompenses

Chers lecteurs et lectrices,

Que ce soit dans les entreprises ou dans les familles, il y a généralement cette stratégie de contrôle identifiée « Le bâton et la carotte ». Le mois dernier, j’ai abordé l’élément «bâton», c’est-à-dire les punitions, et ce mois-ci, j’aborde la «carotte», c’est-à-dire les récompenses. Habituellement, les deux sont utilisées en tandem. De prime abord, on peut réaliser que cette analogie bâton/carotte n’est pas très élogieuse pour les personnes assujetties à cette stratégie car elles peuvent être comparées à un animal un peu bête et têtu (on pense à un âne) n’agissant que par des pressions extérieures. C’est ça le drame : l’état d’esprit d’une telle stratégie de contrôle. Que ce soit un employé ou un enfant, il est perçu irresponsable et incapable d’agir correctement par lui-même. Il faut donc le contrôler. Mais ce type de contrôle fait que le véritable motif ne vient pas de la personne en cause mais d’une condition extérieure habituellement arbitraire, à la discrétion de celui qui détient cette autorité de contrôle. Même que, dans un monde plus autoritaire, la récompense n’est parfois rien de plus qu’une absence de punition, lorsqu’on la brandit sous forme de menace.

Cet état d’esprit peu flatteur risque évidemment d’affecter l’estime de soi de l’enfant. Une faible estime de soi est propice pour engendrer culpabilités, insécurités, égocentrisme, de sorte qu’il peut être difficile pour l’enfant d’adopter des comportements complexes tels que: développer une méthode personnelle de travail, prendre des initiatives en accord avec ses goûts et ses talents, tenir compte des besoins des autres, coopérer, comprendre la valeur de l’honnêteté, etc.


On peut comprendre que les punitions suscitent certaines réserves. Mais comment peut-on remettre en question les récompenses? C’est positif, c’est encourageant, n’est-ce pas? Croyez-moi, elles méritent aussi qu’on y réfléchisse.


Nous avons souvent remplacé le mot « punition » par « conséquence »; le mot « récompense » aussi est parfois modernisé par « encouragement » ou « incitatif » pour obtenir le comportement souhaité. Ça fait peut-être moins enfant en évoquant une certaine initiative ou motivation. Mais précisons ce qu’est véritablement une récompense.

C’est une forme de contrat entre le parent et l’enfant : « Si tu fais ceci (comportement souhaité), je te donne cela (la récompense) ». Si certains y voient un moyen de responsabilisation, je doute de la valeur d’une responsabilisation à n’obtenir qu’une récompense, ce qui a peu à voir avec l’accomplissement du comportement souhaité. Ajoutons à cela le défi pour le parent : trouver la « bonne » récompense, celle qui motivera vraiment l’enfant tout en étant abordable pour le parent.


Certaines questions se posent. Qu’en est-il de la véritable motivation de l’enfant à adopter le comportement souhaité? Quel est son apprentissage à l’égard de ce comportement quand il le fait d’abord pour la récompense? Comprend-il que ce qu’il a à faire est tellement désagréable ou difficile qu’il lui faut un genre de compensation? Est-ce qu’on lui doit quelque chose pour tout ce qu’il a à faire? Pourrait-il le faire sans récompense? Pourrait-il être créatif au point de trouver sa propre motivation intérieure?


Ne peut-on jamais offrir un cadeau à son enfant? Offrir un cadeau prend tout son sens lorsqu’il n’y a pas cette espèce de contrat. Par exemple, le parent est simplement fier que son enfant ait réussi son année scolaire. On comprend que dans ce cas-ci, ce n’est pas une récompense à proprement parler puisque l’enfant a réussi de son propre chef et non pour le cadeau. Ici, on parle d’une « reconnaissance » qui exprime clairement que le parent est fier de son enfant. Ce cadeau n’est pas une « obligation contractuelle », mais plutôt une marque d’appréciation du parent, s’il le veut bien. Sachez qu’une appréciation sincèrement exprimée ne peut qu’enrichir la relation parent-enfant. Elle peut prendre toutes sortes de formes, la plus simple étant de dire combien on apprécie qu’il ait réussi.

De plus, l’appréciation se prête bien comme occasion pour le parent d’être à l’écoute de ce que l’enfant a vécu dans cette nouvelle expérience, ce qui lui permet de mieux connaître son enfant et d’en consolider l’estime de soi. Ça fait du bien de le dire de part et d’autre. Selon mon expérience et mes observations, la reconnaissance sincère et assidue rend les récompenses non seulement inutiles mais inappropriées.

Il me vient le souvenir suivant : au terme de certaines années scolaires, nous amenions toute la famille au restaurant afin de souligner notre appréciation pour le travail de tous et chacun, tout simplement, sachant que nous avions tous fait notre possible. Par l’appréciation, le parent démontre qu’il est avec l’enfant, que l’enfant est toujours plus important que ses comportements ou même ses résultats scolaires. Très valorisant.

Ces réflexions amènent le terme « responsabilité ». Le dictionnaire Larousse en donne trois définitions. Commençons par la troisième, celle évoquée normalement dans les milieux familiaux : « Obligation de réparer une faute, de remplir une charge, un engagement ». Présentée comme ça, la responsabilité suscite plutôt la répulsion d’une valeur lourde et morale. Je vous laisse le soin de chercher la deuxième définition, pas tellement plus attirante. Examinons donc la première définition : « Capacité de prendre une décision sans en référer préalablement à une autorité supérieure ». Ajoutons à cela la notion que porte le mot anglais : response ability.


On parle donc de capacité et d’habileté à agir personnellement et librement. Voilà le genre de responsabilité que les enfants doivent acquérir.


La bonne nouvelle est que chaque enfant est tout équipé pour cela. J’invite le lecteur à percevoir chez son enfant cette capacité et cette habileté prêtes à se développer. Il s’agit de lui procurer l’information nécessaire sur ce qui l’entoure; ceci inclut ce que le parent attend de lui, ce que la vie attend de lui, en lui donnant l’exemple et les raisons de ces attentes, et même de l’aider à clarifier ce qu’il veut. Il s’agit également de le supporter dans son expérience; ceci inclut ses succès, ses erreurs, ainsi que les conséquences de ses actes sur son entourage et chez le parent.

Le contrôle « bâton/carotte » est souvent utilisé, croyant que c’est un bon moyen pour responsabiliser l’enfant. Mais contrôle et responsabilisation sont, par nature, incompatibles. Enrichir la relation parent-enfant et alimenter son estime de soi demeurent les meilleurs ingrédients pour développer le véritable sens de responsabilité, celui qui vient de l’intérieur.

Grand-Papa Pierre.

P.S. : Pour commentaires ou questions, vous pouvez me contacter directement à: chenpie1@hotmail.com

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